Cet article est la restitution d’un travail réalisé lors d’un GEP (Groupe d’Echange de Pratiques), animé par Timspirit, qui a réuni des directeurs commerciaux d’ESN majeures en France, sous l’égide de l’AeSCM. Ce GEP a travaillé sur une question simple mais ô combien essentielle: comment améliorer les réponses aux appels d’offre et mieux coller aux demandes implicites des clients ? Nous sommes partis d’un constat : les entreprises qui gagnent les appels d’offres sont souvent celles qui ont su lire à travers les lignes et aller au-delà des éléments formalisés. Nous avons donc choisi d’apprendre de nos erreurs les plus courantes afin de faire évoluer nos pratiques. Voici la synthèse de nos échanges très riches, résumés en 8 points clés.

1. Les enjeux de l’entreprise cliente sur son marché tu considèreras

Premier point clé : replacer l’appel d’offres dans le contexte des enjeux sectoriels de l’entreprise. L’entreprise fait-elle face à une crise interne ou sectorielle ? Est-elle en restructuration ? Part-elle à la conquête de nouveaux marchés ? Est-elle en croissance ? Autant de questions qui permettent de déterminer en quoi l’appel d’offre s’inscrit dans le contexte économique et social de l’entreprise. Au-delà du poncif « agilité vs marché qui s’accélère », il est fondamental de pouvoir faire le lien entre un appel d’offre (et donc une transformation du SI) et les enjeux métiers et stratégiques affirmés, communiqués et publiés.

En effet, comprendre l’articulation entre le marché, le business, le SI (en tant que support du business) et l’appel d’offres permet au fournisseur de se positionner en vraie force de proposition, bien au-delà des banalités et d’éviter les contre-sens, voire les hors-sujet !

2. La chaîne de valeur tu consolideras

Infrastructures, données ou encore processus métier constituent un écosystème connexe qui peuvent avoir un impact fort sur l’appel d’offres et le projet mais qui sont souvent décrits partiellement dans les AO. Si un appel d’offres a tendance à sur-spécifier ses attentes cœurs, la description de l’environnement et de sa dynamique passe souvent à la trappe.

Deux raisons à cela : l’émetteur de l’appel d’offres ne les connaît pas bien et/ou il ne souhaite pas communiquer sur ce sujet en externe. Il est indispensable de cerner la situation actuelle et la situation future afin d’évaluer les impacts du projet sur l’écosystème connexe. Prenons l’exemple du cloud : quel sera l’impact d’un passage dans le cloud d’une application sur l’ensemble de l’architecture du SI ? Il est vital pour le fournisseur de comprendre la chaîne de valeur de services de l’entreprise et la mette en perspective avec le projet et son écosystème.

Cela va lui permettre de définir le niveau de service qu’il proposera à son futur client sur une échelle à trois niveaux - ce qui est bien, ce qui est mieux, ce qui est parfait – mais aussi d’imaginer des accélérateurs et/ou des raccourcis.

3. La culture d’entreprise de ton client tu étudieras

La culture d’entreprise est à différencier de la culture des personnes qui composent l’entreprise. La question de l’adaptation du fournisseur à la culture d’entreprise de son client dans le cadre des appels d’offres est souvent citée comme facteur de réussite pour la réponse à un AO. Encore faut-il montrer, dans la réponse, des signes que la culture d’entreprise est prise en compte !

La grille d’analyse de la culture d’entreprise peut s’appuyer sur les dimensions décrites par Hofstede comme porteurs d’impacts sur la culture d’entreprise :

  • Le rapport et la distance au pouvoir : quelle est la distance hiérarchique ? L’entreprise fonctionne-t-elle en mode monolithique ou pas ?
  • Le rapport « individu vs groupe » : quel est le degré d’intégration au groupe ? La culture prône-t-elle l’individualisme ou un management Top Down ?
  • L’attitude face à l’incertitude : l’entreprise est-elle prête à prendre des risques ? Toute la roadmap a-t-elle été définie ?
  • L’horizon temporel de l’entreprise : a-t-elle une vision à court, moyen ou long terme en particulier d’un point de vue financier ?
  • Le rapport aux individus : quelle est la capacité de l’entreprise à satisfaire les besoins et les désirs personnels de ses membres ?

La réponse à l’appel d’offres devra offrir, dans la mesure du possible, une réponse à ces questions fondamentales, par exemple, en proposant un modèle de gouvernance qui tient compte de la distance, des modèles de transition, des prises de risques face à l’incertitude, etc.

4. En tenant compte de ta propre image auprès du client, ta réponse tu construiras

L’image du fournisseur auprès de son client est un élément important dans la stratégie commerciale, sur laquelle il ne faut pas hésiter à s’appuyer pour gagner en puissance lors de la réponse à un AO. L’image permet de véhiculer nombre de messages implicites voire de renforcer l’explicite. Elle doit être appréhendée à trois niveaux : une image générale portée par le fournisseur, une image propre au pays où il opère et une image développée au sein de l’entreprise cliente.

Concernant ce dernier point, le fournisseur peut avoir une image professionnelle, sérieuse ou bienveillante mais dans tous les cas, le passé dans l’entreprise cliente doit être pris en considération. La persistance de l’image chez le client ne doit pas être négligée, qu’elle soit positive ou négative. Même si l’on peut être tenté de passer outre en préférant ne pas savoir…Pour cela, il ne faut pas hésiter à interroger ses « alliés » dans l’entreprise.

Dans les grands appels d’offres, les fournisseurs retenus jouent presque toujours sur leur image en choisissant un alignement entre la proposition de valeur et l’image qu’ils ont au sein de l’entreprise cliente. Il peut d’ailleurs être très risqué d’aller à l’encontre de cette image (en faisant, par exemple, une proposition très agile quand on a une image d’industriel).

5. Habilement, l’historique des relations du client avec ses fournisseurs tu analyseras

L’historique d’un client avec ses fournisseurs est une excellente base pour analyser la stratégie du client et comprendre l’essence des partenariats qu’il attend. L’idée est de recréer ce qui a marché ou, au contraire, d’arrêter ce qui n’a pas fonctionné dans le passé ou avec les précédents prestataires. Des informations, comme la taille et la durée des contrats, le type de fournisseurs employés ou la fragmentation du paysage du sourcing, qui ne sont jamais formalisées dans l’appel d’offre !

Si le fournisseur n’a pas accès à ces informations, il n’en demeure pas moins qu’il peut tout à fait, s’il a un passé commun avec ce client, analyser les informations qu’il a sous la main : la taille et la durée des contrats qu’il possède, son rôle dans la chaîne de valeur du client, ses échecs et ses réussites passés avec ce client, etc. C’est une source riche et fiable d’informations sur les enjeux, sur les attendus implicites, sur les insatisfactions et les frustrations. C’est également une tribune idéale pour les adresser.

Il faut prendre en considération, qu’au-delà de l’envie exprimée par les clients de changer, il reste l’habitude et les traditions qu’il ne faut pas négliger. Le client est-il fidèle ou pas ? A-t-il envie de sang neuf ? Quelle est sa culture ? Celle de la confiance ? De l’innovation ? Du partage ? De la sécurité ?

Un RFP peut être la première brique d’une nouvelle relation d’un client avec ses prestataires. La réponse à un AO sera d’autant plus pertinente qu’elle sera une étape supplémentaire de cette histoire et qu’elle aura pris en compte la vision la plus objective possible du passé de la relation.

6. Aux rapports de force au sein de l’entreprise cliente, tu t’intéresseras

Nombre de circuits de décision d’un gros appel d’offres restent complexes, nécessitant, la plupart du temps, un compromis entre plusieurs parties prenantes (et donc plusieurs personnes) ayant des intérêts différents : que ce soit inscrit sur leur fiche de poste (rapidité/agilité VS stabilité/disponibilité), que ce soit lié à leur personnalité (sensibilité personnelle à la nouveauté, à la prise de risques, aux critères humains, équité, respect des règles, etc.) ou à leurs relations interpersonnelles (en un mot les rapports de force). Certains peuvent se détester, d’autres se serrer les coudes.

On constate que le gagnant d’un appel d’offres est souvent celui qui volontairement, ou non, a su satisfaire aux attentes des décisionnaires. C’est un exercice d’équilibriste et pour maximiser sa chance, il est toujours intéressant d’avoir une vision globale et synthétique des acteurs, de leurs rôles, attendus, de leur influence, de leur relation individuelle, de leur histoire. En un mot, prendre le temps de réaliser un sociogramme permettra de faire des projets de transformation un succès business ET humain.

7. Le risque du changement organisationnel pour le client, tu anticiperas

Qui dit nouveauté, dit changement. Changement des rôles internes, des modes de fonctionnement, de l’organisation, etc. Que le client en ait conscience ou pas, il est impératif d’identifier clairement les impacts du changement pour l’entreprise: Comment se manifeste le changement ? Qui et quoi est impacté par le changement ? Quelles sont les lignes directrices pour traiter le changement ?

Gagner un appel d’offres, c’est aussi être capable d’aborder, d’adresser et de traiter (et donc anticiper) la problématique du changement. Même si cela ne relève pas de la responsabilité du fournisseur (de gérer tous ces changements), il ne faut pas les passer sous silence. Il est vital de les étudier en largeur et en profondeur. Si le client ne change pas, le projet ira droit dans le mur.

Il ne suffit pas seulement d’aborder le sujet mais bien de l’adresser et le traiter afin d’éviter de réécrire la chronique d’un échec annoncé. Refuser d’aborder le sujet, de peur d’être perçu comme dangereux ou négatif, est une approche qui peut être louable dans un raisonnement à court terme mais très dangereuse dans une approche sur le long terme.

8. Les peurs et les doutes du client au moment du « grand saut », dans ta réponse tu intégreras

Chaque manager a des craintes personnelles, les siennes et celles du management perçu par les équipes. Ces peurs portent souvent sur la peur du changement (un point sensible pour les managers), la peur de l’échec et la peur d’une mauvaise évaluation budgétaire du projet : si le projet est un échec, quelle sera la conséquence sur ma carrière, sur mes ventes, sur mon service ? Est-ce que le projet ne va pas coûter plus cher que prévu ? Est-ce que je ne risque pas de passer quelques nuits blanches ?

La plupart du temps, les techniques de vente poussent à sous-estimer, voire nier, les peurs et les doutes, soit en les masquant, soit en diminuant les risques.

Celui qui gagne un appel d’offres est celui qui aura su rassurer son client et pas forcément celui qui aura fait la meilleure offre technique.